À MADAME LA VICOMTESSE DE C. 1er octobre 1948
Chère Madame,
Je vais me remettre à peindre après un arrêt et je suis maintenant dans un pays où il y a un panache de fumée et un fameux. Et lorsque le petit train départemental passe ça en fait deux. Ils se disent bonjour.
Recevez, Madame, mes salutations
MON REVE
Mon rêve serait d’être comte et d’avoir un comté, car j’aimerais mieux ne pas être comte que de l’être sans avoir un comté. Je crains très peu le ridicule mais tout de même assez pour ne pas être comte qui n’a pas de comté. Etre prince ne me déplairait pas non plus, prince avec une principauté naturellement.
Comme je suis très ambitieux avec une principauté de deux cents mètres carrés je serais satisfait. Etre prince de Boulogne m’irait comme un gant et je porterais un uniforme rouge persan avec des boutons bleus et un faux ventre pour faire plus impressionnant. Je me ferait bâtir un palais princier et j’inviterais les chefs d’Etats à venir chez moi passer quelques jours tranquilles dans ma petite principauté tranquille. J’y inviterais même la Sainte Vierge, je lui demanderais de venir faire des apparitions dans ma petite principauté : je tiendrais des petits bergers à sa disposition.
Ma principauté connaîtrait la paix perpétuelle car personne n’aurait envie d’un si petit domaine.
g. chaissac
ARTICLE ECRIT PAR CHAISSAC à l’occasion de l’exposition qu’il organise chez lui à Sainte Florence. Texte de Jacques André sur Gaston Chaissac
Je fais ici, à Sainte-Florence, une importante exposition supercocasse, et la presse a déjà annoncé le vernissage qui a lieu le 19 prochain à 15 heures, sous la présidence du Dr André Chevalier, vice-président des Surindépendants de l’Ouest. Et déjà je jouis du spectacle, car c’est installé. Mon regard est plutôt attiré par le plus nouveau dans ma production, c’est-à-dire des machins faits spécialement pour cette circonstance, notamment une boîte rectangulaire dans laquelle sont entassées des guenilles multicolores, un assemblage de vieux bouts de cuir, un autre d’objets empruntés à la fumisterie. Oui, j’ai fait des emprunts à la fumisterie. Et puis j’ai des toiles encadrées de mousse à plat sur une table où sont aussi des pierres peintes, des pierres brutes assemblées, des boulets de charbon et même un de pierre, etc., et jusqu’aux débris d’une ardoise peinte cassée dans des conditions qui me restent inconnues. […] Le directeur artistique de la galerie la plus perméable n’accepterait jamais des choses pareilles. Et c’est d’autant plus du jamais vu, ça, que c’est dans une salle au plafond éventré. L’arrangement compte pour un tableau de plus. J’ai aussi emprisonné des guenilles multicolores dans un grillage. Les souches y sont aussi, bien entendu, ainsi que des détritus décorés et, pour vingt et un dessins ou gouaches, j’ai utilisé la porte vitrée et une vitrine comme cadres. A l’endroit éventré du plafond, j’ai suspendu des montants de bois sur lesquels sont fixés huit tableaux. Le tout à l’avenant, je n’ai que trente-deux choses dans des cadres réglementaires, sans compter le pas encadré du tout.
NRF, n°21, septembre 1954.
Papiers froissés, usagés, déchirés, racines et cailloux, raclures de toutes sortes, cirage, ripolin, bidon d’huile usagé, en bref tout ce qui reste après utilisation ou consommation trouve entre ses mains fonction expressive, valeur esthétique.Le déchet, auquel l’artiste lui-même s’est assimilé, lui a permis d’exprimer et de représenter les laissés pour compte, les paysans, les artisans, les poètes et peintres œuvrant à contre-courant.[…]
Gaston Chaissac : dessin, lettre, écriture, in De la palette à l’écritoire, Université de Picardie (éd. Joca Seria, 1997).
LETTRE A MONSIEUR LOUIS BATIOT, Maire de l’époque…
Cher monsieur, D’un ton pas précisément gentil ni complimenteux je fus traité de cul d’sac par des concitoyens d’alentours. Mais il y a cul de sac et cul de sac et j’espère que j’en suis peut être un pas si négligeable comme celui de devant l’observatoire de paris. Il y a aussi le Grand cul de sac du rivage guadéloupéen que vous devez connaître comme estimable marin et qui est assez proche de cette savane si admirable et admirablement chassté par florette marand, du reste citoyenne de morne l’eau et dont on réédite justement sa « Chanson de ma Savane ». Et ça me manquerait de m’être une précieuse compensation pour mes culs’sac coups de pattes si monsieur mon maire s’intéressait à cette poésie savanière si digne qu’on si arrête. C’est la librairie de l’escalier douze rue monsieur Le prince, paris sixième qui réédite « Chanson dans le chétif – Cul de sac dont l’ombre – Atteignait le maladif –Chataigner qui a un œil – qui di merde à l’autre – Et pas même en bonne littérature qui tire bien franche du collier – Sans même un coup de satire pour les alliés.
Mais son flanc se lézarde – A la hauteur du nombril – Et son ombre blafarde – Retardait sans grand bruit.
g. chaissac
à Mme louis batiot
Il faut mieux donner a l’enfant l’amour des fleurs que celui des gros mots.
g. chaissac